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Morts au travail : un collectif de familles contre l’hécatombe invisible (1/3)

Comme tous les ans, le 28 avril sera la Journée mondiale de la santé et de la sécurité au travail. Un événement pour le moins discret alors que les accidents du travail fauchent trois personnes chaque jour en France. Pour sortir de cette invisibilisation, soutenir les familles et faire bouger la justice et les responsables politiques, des proches de victimes ont créé le Collectif Stop à la mort au travail. Rencontre.

Ce 5 mars 2022, Flavien Bérard venait tout juste de finir sa journée de travail ; l’une de ses premières en tant que sondeur sur le forage pétrolier à Villemareuil, en Seine-et-Marne. Ce site est géré par la PME française SMP (Société de Maintenance Pétrolière).

Flavien Bérard avait 27 ans quand il a perdu la vie en mars 2022 après un accident sur un site de forage pétrolier à Villemareuil (Seine-et-Marne). Une information judiciaire a été ouverte. Personne n’a été mis en examen pour le moment.

Flavien, 27 ans, avait été embauché en CDD le jour de son anniversaire, le 28 février. Il avait déjà eu une première et courte expérience sur le site de Vauvert, dans le Gard, pour ce même groupe.

Il était 4 heures du matin lorsque Flavien et ses collègues passèrent le relais à l’équipe suivante sur le forage. C’est alors qu’une pièce métallique d’une vingtaine de kilos se détacha de la plateforme de forage Rig 101, chuta d’une vingtaine de mètres et vint heurter la tête du jeune homme, sectionnant son casque en deux. Flavien fut transporté en urgence absolue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Sa famille et sa compagne, Clarisse, apprenant sa mort cérébrale, refusèrent un acharnement thérapeutique inutile. Le jeune homme fut débranché des appareils qui le maintenaient artificiellement en vie le lendemain. « Nous avons posé une main sur son cœur et avons attendu qu’il cesse de battre… », raconte Fabienne, sa maman, professeur agrégé en lycée à Confolens.

Passionné de rugby et rescapé d’un lymphome diagnostiqué à 22 ans, Flavien avait accepté ce poste avant de pouvoir se lancer dans la création de son entreprise de bornes de recharge pour véhicules électriques. « Quelques jours avant son accident, il nous avait dit qu’il ne se sentait pas très en sécurité là-bas, l’ambiance n’était pas très bonne, se souvient Fabienne. Mais dans la famille, nous ne sommes pas du genre à baisser les bras à la première difficulté… »

Après l’accident, la SMP a aussitôt évoqué une erreur humaine pour expliquer le drame. Cependant, « une expertise de la foreuse Rig 101 a révélé 373 malfaçons ou manquements, dont trois majeurs », expliquait Me Béthune de Moro, l’avocat de la famille de Flavien Bérard, dans Le Parisien, en avril 2024. Le procès de la SMP n’a toujours pas eu lieu. « Le juge d’instruction a rassemblé tous les éléments, sauf les réponses de l’entreprise. Celle-ci freine des quatre fers », déplore Fabienne. Elle explique que les responsables du groupe ne sont pas venus à la première convocation, mais seulement à la suivante… en gardant le silence. « Une nouvelle convocation a été lancée, et nous espérons, qu’enfin, l’affaire pourra être jugée. La justice est si lente… et malheureusement, nous ne sommes pas un cas à part. » Six mois après le drame, la famille Bérard a appris qu’un autre accident avait eu lieu sur un autre site de la SMP, laissant cette fois un ouvrier lourdement handicapé. « Cela nous a décidés à ‘faire quelque chose’ », se souvient Fabienne qui a découvert avec la mort de son fils « l’ampleur du phénomène »

En chiffres

Selon les chiffres officiels, en 2022, 559 812 accidents du travail ont été déclarés pour les salariés du régime général et du régime agricole, dont 38 022 accidents du travail laissant des séquelles durables pour la victime et 789 décès.

Pour 2023, le rapport annuel de la Caisse nationale de l’Assurance-maladie sur les risques professionnels, publié le 13 décembre 2024, avance le chiffre de 759 personnes décédées. Des chiffres qui ne sont que partiels puisqu’ils ne comptabilisent pas les salariés de la fonction publique, les agriculteurs, les chefs d’entreprise et les micro-entrepreneurs. Partiels certes, mais qui, d’après les données d’Eurostat, placent néanmoins la France parmi les plus mauvais élèves européens. La moyenne européenne est 1,66 accident mortel pour 100 000 salariés, contre 3,49 en France (https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Accidents_at_work_statistics)

(à suivre. Prochain article, vendredi 4 avril : aux origines du collectif)

Olivier VAN CAEMERBEKE

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