Logo La Turbine - Média de Union des Scribes

Morts au travail : les premières victoires du collectif (3/3)

Créée officiellement le 22 mai 2023, l’association Stop à la mort au travail compte quelque 120 membres d’une cinquantaine de familles différentes. Elle est financée par leurs cotisations (20 euros d’adhésion), et – surtout – par les dons faits à l’issue des procès gagnés. Ses moyens d’action sont d’une part les conseils aux familles, la réalisation de marches blanches, la médiatisation des cas et les échanges avec les ministères. Les membres de l’association soulignent d’ailleurs que certains responsables (Olivier Dussopt, Astrid Panosyan-Bouvet et Geoffroy de Vitry, son directeur de cabinet) ont, ou furent, très réceptifs à leurs demandes, quand d’autres (Catherine Vautrin, Éric Dupond-Moretti) n’ont pas manifesté le même intérêt.

Le collectif doit à l’ancien ministre du Travail sa première grande victoire : celle de rendre obligatoire la déclaration des accidents mortels dans les 12 heures à l’inspection du travail. Olivier Dussopt a fait passer ce décret en juin 2023 juste avant de quitter ses fonctions. Jusqu’alors, seule la sécurité sociale devait être prévenue. Les inspecteurs du travail réclamaient la mesure depuis longtemps. Car, souvent informés trop tard, notamment lors des décès à l’hôpital des suites de leurs blessures, les chantiers avaient changé et les constatations immédiates étaient impossibles. Parmi les autres succès et réalisations de l’association, on peut citer sa participation aux projets de création d’un Observatoire européen de la mort au travail et à un autre, cette fois français, sur lequel planche le quotidien L’Humanité.

L’association a aussi contribué au « Guide pour les victimes d’accidents du travail et leurs familles », rédigé par la Direction régionale de l’Économie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités de la région Grand-Est, dont elle espère maintenant une large diffusion.

« Nous avons aussi mis en place un système d’hébergement solidaire pour les familles, complète la fondatrice. Car les procès ont lieu là où s’est déroulé l’accident, ce qui peut être très éloigné de leur lieu de vie et donc très onéreux. »

Le collectif est, enfin, pour beaucoup dans la première campagne nationale de communication pour la prévention des accidents du travail en septembre 2023, communication renouvelée l’année suivante.

CE QU’IL RESTE À FAIRE

Au-delà d’œuvrer à mettre fin à l’invisibilisation des accidents mortels au travail, le collectif se bat sur de nombreux autres chantiers. Les familles réclament des peines plus lourdes pour les employeurs condamnés. « Elles doivent être proportionnelles à la gravité des faits et s’appuyer sur les résultats financiers de l’entreprise l’année du drame et pas au moment du jugement. Car certaines profitent de la lenteur de la justice pour réduire leurs bénéfices avant le procès afin d’être soumises à des amendes minorées, déplorent nos interlocutrices. C’est terrible à dire, mais certaines y trouvent leur compte à ces accidents mortes !. »

Si le sujet est encore trop souvent tabou, Véronique Millot et Fabienne Bérard n’hésitent pas, elles, à évoquer une meilleure indemnisation des proches. L’amende pour non-respect du droit du travail et dont le montant est versé à l’État étant souvent supérieure aux indemnités touchées par les parties civiles. À titre d’exemple, la perte d’un enfant est généralement indemnisée de 20 à 30 000 euros. Elles soulignent aussi que, selon les lieux où se tiennent les procès, les peines sont très différentes, à l’instar de celui de Lyon, certains tribunaux apparaissent bien plus tolérants que d’autres aux fautes des employeurs. « Les entreprises risquent finalement très peu, se désole Fabienne Bérard. Leur plus gros risque, c’est de voir leur cotisation d’assurance augmenter ! » Le collectif plaide pour la création d’un fonds européen (ou français) d’indemnisation des familles de victimes et d’un fonds en France pour les aider à faire face aux frais d’obsèques, de justice, etc.

Et, afin de mettre des mots sur des comportements fautifs, le collectif réclame la création du crime d’employicide. Celui-ci pourrait, espèrent les familles, s’accompagner de la publication d’une liste noire des entreprises condamnées, de l’exclusion des marchés publics des employeurs condamnés et de la publication de la condamnation dans la presse locale pour que les « clients » des entreprises, les salariés et leurs familles soient au courant.

Le collectif souhaite l’augmentation du nombre d’inspecteurs du travail -actuellement, on compte environ un poste d’inspecteur du travail pour 10 000 salariés -, tout en soulignant qu’il mesure à quel point les recrutements et la formation sont des processus longs.

Le collectif réclame aussi l’accompagnement psychologique de droit auprès des CUMP (cellules d’urgence médico-psychologiques) pour les familles et les collègues.

« Enfin, nous demandons évidemment le rétablissement des CHSCT et plus de campagnes de prévention, plus de formation sur la prévention pour les jeunes puisque ce sont eux les principales victimes », ajoute la fondatrice.

En conclusion, Fabienne Bérard et Véronique Millot le rappellent : les accidents du travail sont l’affaire de tous et ils ne sont pas une fatalité. « Il est urgent de sortir du silence et d’en finir avec l’impunité ! »

Stop à la mort au travail !

Olivier VAN CAEMERBEKE

Découvrez nos autres articles

Morts au travail : les premières victoires du collectif (3/3)

Créée officiellement le 22 mai 2023, l’association Stop à la mort au travail compte quelque

Morts au travail : aux origines du collectif (2/3)

Par l’intermédiaire de Matthieu Lépine (auteur de L’Hécatombe invisible [Seuil], qui raconte ces vies fauchées

Morts au travail : un collectif de familles contre l’hécatombe invisible (1/3)

Comme tous les ans, le 28 avril sera la Journée mondiale de la santé et