Comme dans toutes les autres usines
On s'en fout de qui je suis
Deux bras et puis basta
Je n'ai jamais tenu un tuyau de nettoyage
industriel
Je ne sais même pas faire le ménage chez moi
Ce n'est pas grave
L'usine est immense
Monstrueuse
Un chef me dit
"Atelier découpe porc"
Je le suis
La porte s'ouvre
Et
L'atelier me semble grand comme la totalité d'une
de mes anciennes usines
Du sang
Partout
Le premier truc
Le sang
Mes yeux cherchent à comprendre l'agencement de
l'atelier et de ses espaces
et puis
Des lambeaux de cochon
Partout
Et pas que des lambeaux
Des groins des travers des pieds et du gras de
cochon si caractéristique
Partout
Je me dis
Mais tu croyais quoi bonhomme
On t'avait bien dit que tu allais devoir nettoyer un
abattoir
Le chef me file un tuyau
Me montre un bout de ligne de production
Et me dit
"ça c'est ta zone
A dans deux heures pour qu'un gars passe la
mousse"
J'actionne le tuyau
Cet engin est un cauchemar
Je m'applique
Tente d'aller aussi vite et bien que je peux
Le chef repasse
Evidemment que je fais de la merde
Je bouffe du sang
Au sens propre
Et le sens dans ma bouche
Ce sang de cochon
Projections et contrecoups du jet haute pression
Dans A la ligne. Feuillets d'Usine (Editions de la Table ronde, 2019), Joseph Ponthus (1978-2021) relate son expérience d'intérimaire, d'abord au sein d'une conserverie de poissons, puis d'un abattoir. Il y décrit son quotidien dans une composition en prose, dépourvue de toute ponctuation ; un style qui reflète le rythme obsédant de la chaîne.