Il faut les voir nos visages marqués
A la pause
Les traits tirés
Le regard perdu rivé au loin de la fumée des
cigarettes
Nos gueules cassées
Si j'osais le parallèle avec la Grande Guerre
Nous
Petits troufions de l'usine
Attendant de remonter au front
Ou plutôt
Mercenaires
Non plus des Marie-Louise des conscrits de l'année
Mais
De vagues engagés volontaires dans une guerre
contre la machine
Perdue d'avance certes
Mais qui rapporte au moins une solde mensuelle
La pause
Cette foutue pause
Espérée rêvée attendue dès la prise de poste
Et même si elle sera de toute façon trop courte
Si elle vient trop tôt
Que d'heures encore à tirer
Si elle vient trop tard
N'en plus pouvoir n'en plus pouvoir
Elle sera
Le capitalisme triomphant a bien compris que pour
exploiter au mieux l'ouvrier
Il faut l'accommoder
Juste un peu
A la guerre comme à la guerre
Repose-toi trente minutes
Petit citron
Tu as encore quelque jus que je vais pressurer
Dans A la ligne. Feuillets d’Usine (Editions de la Table ronde, 2019), Joseph Ponthus (1978-2021) relate son expérience d’intérimaire, d’abord au sein d’une conserverie de poissons, puis d’un abattoir. Il y décrit son quotidien dans une composition en prose, dépourvue de toute ponctuation ; un style qui reflète le rythme obsédant de la chaîne.