J'en chie mais à l'usine on se tait
C'est le week-end
Je ne sais pas dormir
A cette heure-ci je devrais être sur ma ligne
Il devrait me rester deux heures de boulot
Deux heures de boulot de merde
De chaîne
De ligne
C'est le week-end
Je devrais reconstituer ma force de travail
C'est-à-dire
Me reposer
Dormir
Vivre
Ailleurs qu'à l'usine
Mais elle me bouffe
Cette salope
Je viens de sortir fumer ma clope à la maison
Je retrouve les gestes machinaux de la nuit à la pause
Tirer vite fait et allumer un mégot au mégot de l'autre
Je reprends après demain
C'est comme si c'était
Demain
Commencer à préparer son rythme de sommeil
Son rythme de vie
Que l'usine impose
Il faut y aller
Il faut dormir
Il faut
J'en chie de cette usine
De son rythme à la con
De ses trucs insensés à faire tous les soirs
Ne pas le dire
L'écrire
J'ai mal de mes muscles
J'ai mal de cette heure de pause où je devrais être
mais où je ne suis pas
En fumant ma clope chez moi
Je suis encore à l'usine
Dans A la ligne. Feuillets d’Usine (Editions de la Table ronde, 2019), Joseph Ponthus (1978-2021) relate son expérience d’intérimaire, d’abord au sein d’une conserverie de poissons, puis d’un abattoir. Il y décrit son quotidien dans une composition en prose, dépourvue de toute ponctuation ; un style qui reflète le rythme obsédant de la chaîne.